Le piège de la gratitude

Août 21, 2023 by VeroCampillo Category: Consulting 0 comments

#développementpersonnel #gratitude #abondance

Dans les milieux du développement personnel, la gratitude arrive en bonne place sur le podium des nobles sentiments : l’état de grâce comme objectif à atteindre. En éprouvant de la gratitude, tu pourras – enfin – attirer à toi mentalement tous les bienfaits possibles, pour peu que tu sois en mesure de les imaginer, ou de les associer à une émotion positive. Remercier avant d’avoir reçu, si l’on en croit nombre de promesses sur les réseaux sociaux, serait ainsi la clé – le Secret – d’une vie abondante et riche. Si le fait de cultiver des pensées positives et de voir le bon côté des choses est important pour cultiver une bonne relation à soi et aux autres, la frontière peut cependant être étroite avec la pensée magique qui a fait les beaux jours de la loi de l’attraction.

Je me suis demandé pourquoi cela ne fonctionne pas vraiment, pas tout le temps, pas pour tout le monde – et ce qu’est vraiment la gratitude. J’avais une grosse question : la gratitude, est-ce gratuit ? J’ai donc commencé par quelques petites recherches.

Concept ou sentiment ?

Quelques utilisations et définitions du terme m’ont valu une belle confirmation de mon intuition première, à savoir que, a priori, la gratitude n’est pas « sans objet » : elle consiste à la fois en une relation et un sentiment.

  • Lien de reconnaissance envers quelqu’un dont on est l’obligé à l’occasion d’un bienfait reçu ou d’un service rendu (Denise, maintenant, avait du pain tous les jours. Elle en gardait une vive gratitude au vieux marchand (Zola, Bonh. dames,1883, p. 571)).*
  • Sentiment de reconnaissance et d’affection envers quelqu’un (À cette affection si profondément exprimée que vous avez la bonté de me porter, j’ai répondu par une gratitude infinie (Balzac, Corresp.,1843, p. 588)).*

La gratitude ne s’exprime pas « dans le vide », mais élabore et creuse une relation entre deux entités distinctes. Le lien qui se crée est celui de la reconnaissance, terme qui revient dans les deux propositions, et que je trouve particulièrement intéressant : la reconnaissance précèderait ainsi la gratitude. La reconnaissance pourrait ainsi nous aider à donner un sens concret à la gratitude, en nous permettant d’actualiser une information importante : envers qui ou quoi orienter notre reconnaissance ? Comment mûrir le concept et progressivement, l’accueillir dans le cœur afin qu’il devienne une réalité vécue au plus profond de soi ?

Quand tout va mal…

A-t-on jamais entendu parler d’une vie sans épreuves ? À l’évidence, les difficultés de toutes sortes font partie de la vie de tout être humain sur cette planète. Quand tout commence à aller mal, que ta vie fout le camp, que la maladie, les accidents et les pertes de toutes sortes croisent ton chemin, la gratitude ne va pas de soi et la pensée positive se met à ressembler étrangement au déni de réalité. Est-elle souhaitable d’ailleurs ? Tu reçois des coups et tu dois trouver le moyen de dire merci ? Comment retrouver ton équilibre sur cette ligne de crête où d’un côté tu dois accueillir la nécessité de vivre jusqu’au bout l’épreuve qui survient et de l’autre, accepter qu’en quelque sorte tu l’as voulu « pour le salut de ton âme » ? Comment « interpréter » l’épreuve ? Tes erreurs, le destin, le hasard ?

Le sens de l’épreuve

Pour ce qui est des erreurs, cela peut fonctionner : par exemple, ta femme (ou ton mari) te quitte. Comment t’es-tu comporté avec elle (lui) ? Quelles chances as-tu donné à la relation ? Quel investissement a été le tien dans le couple, la famille ? Si en effet tu ne t’es pas investi avec sérieux et patience dans la relation, tu ne peux espérer une relation durable et de qualité. Alors, une fois l’erreur commise, il s’agira plutôt de te réconcilier avec toi-même en reconnaissant ta responsabilité. La paix avec soi est à ce prix, elle t’évitera une culpabilité stérile et au passage, de recommencer avec un ou une autre…

En va-t-il de même pour la maladie ? Si celle-ci est la conséquence de ton mode de vie, du manque de soin porté à ton corps, ce que tu ne te dis pas ressortira un jour sous forme de « mal a dit » et ce sera également l’occasion d’un apprentissage, d’entendre un message, et de te remercier dans ta capacité à l’écouter et l’entendre. Ta capacité à remercier pour ce qui t’arrive te montrera que tu apprends et que tu es prêt à progresser. Cette capacité à accueillir te permettra probablement de donner un sens à l’épreuve et de l’inscrire dans ta trajectoire de vie comme un jalon utile à ton évolution intérieure, voire à l’évolution de ta lignée.

Que dire alors des tremblements de terre, des guerres, etc. ? Ces événements « extérieurs », sur lesquels nous n’avons aucune prise, sont-ils les complices d’une destinée choisie ? Peut-être le cours de notre vie se construit-il à partir de circonstances et de choix que nous faisons « avant » ? Peut-être est-ce un peu des deux, associant une forme de prédestination globale à l’intérieur de laquelle il nous appartiendrait d’exercer notre libre-arbitre ? Les grandes théories quantiques actuelles vont dans ce sens et rejoignent bien souvent les sagesses ancestrales fondatrices de notre civilisation.

Le dharma dans la tradition indienne

Dans la tradition philosophique et spirituelle de l’Inde, on trouve la notion de dharma, considéré comme une loi cosmique universelle qui maintient l’équilibre et l’ordre dans le monde. Il constitue un socle composé de notions telles que devoir, justice, moralité et accomplissement. Ainsi chaque individu aurait son propre dharma, selon sa caste, sa profession, etc. Suivre son dharma est considéré dans l’hindouisme comme essentiel pour vivre une vie réussie. L’idée étant de progresser d’une incarnation à l’autre jusqu’à atteindre la libération du cycle des naissances et des morts. En tant que principe directeur, le dharma nous invite à vivre en accord avec l’ordre naturel des choses et notamment dans l’acceptation de notre sort. Né dans une caste d’artisans, tu deviendras artisan, ce qui permettra de maintenir cet ordre du monde : « chaque chose a sa place ».

Ce serait oublier que le dharma pose une loi d’accomplissement. Et si ton « destin » était justement de changer de caste ? Si les femmes et les hommes de toutes les époques et de toutes les conditions s’étaient contentées de leur sort, bien des avancées n’auraient jamais eu lieu. Les grandes évolutions ont été initiées par des révoltés, des personnes qui ne voulaient pas se contenter de la place qui leur avait été assignée par les construits sociaux. Après tout, ces derniers ont engendré l’esclavage, les apartheids, les ghettos…

La loi d’accomplissement impose donc l’audace de réaliser sa vie, que cela consiste à « devenir médecin comme papa » ou à échapper à un sort prédestiné… Pas de place donc pour les croyances telles que : « je n’ai jamais eu de chance dans la vie », « j’ai toujours fait des mauvaises rencontres » ou « je n’ai jamais trouvé ma place ». Et selon le dharma, le devoir, la morale et la justice sont les bases, incontournables pour cette réalisation que nous cherchons tous et toutes, et non la finalité.

En quoi cela nous aide-t-il à vivre ? De quoi devrait être faite notre gratitude lorsque nous avons le sentiment que notre destin est là devant nous, prêt à s’accomplir ? En quoi cela nous rapproche-t-il d’un véritable sentiment, consistant à rendre grâces à la vie qui est la nôtre et à ce qu’elle nous offre de vivre ?

Quand tout va bien…

Quand tout va bien, il est plus facile de convoquer la gratitude. « C’est chouette ce qui m’arrive… », « Merci la vie »… Je crois qu’il est important de creuser un peu. Car quand ça se passe comme tu veux, le glissement vers l’autosatisfaction te guette, notamment si tu as grandi dans le culte de la réussite : si tu réussis, c’est que tu es quelqu’un de bien (tu as tout fait pour y arriver, les dieux sont contents de toi, ils te récompensent à ta juste valeur). Demande-toi si ta gratitude n’est pas alors légèrement tournée vers toi-même ? En effet, tu t’es montré méritant.e… Ou tu as eu de la chance, un concept bien pratique pour expliquer ton bonheur pendant que tant de choses vont mal ailleurs. En réalité, la gratitude n’est chose aisée ni quand tout va bien, ni quand tout va mal.

Reconnaître

La piste de la reconnaissance constitue donc une première étape utile, plus accessible, et susceptible de nous éviter le piège de la gratitude. Quelle mise en humilité t’es demandée pour que tu reconnaisses ce qui est dans toute sa réalité ? Reconnaître que tu as fait une erreur et que tu en vis maintenant les conséquences ? Reconnaître que tu ne peux réussir seul.e, que sans tes amis, ta famille, ton conjoint, ta femme, ton mari, tes collègues, tu n’es rien ? Reconnaître ta part de responsabilité, ni plus, ni moins ? Enfin, reconnaître que l’épreuve est source d’apprentissage : la gratitude devient alors possible et elle est enracinée, elle te remplit. Elle est reconnaissance qu’une part de ta réussite ne vient pas de toi. Ceux qui se disent croyants pensent que tout vient de Dieu. Mais que tu sois croyant ou non, reconnais que les événements, qu’ils soient ou non à ta convenance, viennent de quelque part, d’une force de vie qui te dépasse, des choix de ton âme… Car toute ta vie tu seras confronté à cette part de mystère, à tant de choses impossibles à expliquer… Alors tu pourras accueillir et discerner entre le combat et l’acceptation. Et alors seulement tu pourras éprouver une vraie gratitude. Celle-ci viendra remplir ton cœur :

  • lorsque tu auras cherché de toutes tes forces à comprendre ce qui t’arrive et fait la paix avec ta part de responsabilité,
  • lorsque tu auras accepté tout ce que tu ne peux pas comprendre,
  • lorsque tu auras lâché prise sur le résultat.

En ce sens, la gratitude devient collaboration avec le Vivant au lieu d’en rester à une positivité de bon aloi qui n’est en fait qu’un déni de réalité. La gratitude restera un concept si tu ne la vis pas dans le cœur.

Un état instable

Compte tenu des événements de nos vies, la gratitude « éternelle » semble hors de portée du commun des mortels, mais est-ce souhaitable in fine ? Percevoir ce moment où tu t’éloignes du sentiment de gratitude et où tu te mets à penser qu’on te doit quelque chose, ou qu’il te manque quelque chose, ce moment où tu te coupes de ta relation au Vivant, peut être un bon indicateur du fait que tu es en train de quitter ce Réel dans lequel ce qui est est.

Comment retrouver le chemin de la gratitude lorsque tu as perdu la connexion ? En ralentissant le temps et en reconnaissant ce que tu as, que quelque chose est OK en ce moment. Car sinon, comment expliquer que même dans les pires situations, des femmes et des hommes se sont relevé.es et ont continué envers et contre tout à dire merci ? Dans le lien qui se crée entre deux personnes solidaires, ce qui se vit est une capacité à recevoir qui se nourrit d’une capacité à donner et vice versa. La gratitude devient alors réciprocité.

Avec de l’entraînement, la capacité à tout recevoir avec justesse peut s’installer durablement dans le cœur. Et nourrir et amplifier la capacité à donner. Or l’entraînement est plus facile à mettre en place quand tout va bien, mon ami.e, alors profite et fais le plein, pratique encore et encore, cela te sera plus facile aux heures de l’épreuve et te donnera une chance inouïe, celle de reconnaître que même l’épreuve est un cadeau et qu’elle te fait grandir. Tu pourras alors vivre la gratitude comme un exercice de non résistance, de pacification intérieure et de croissance spirituelle. Tu pourras devenir généreux de toi-même, donner sans compter et recevoir sans compter pour te nourrir du lien, de la qualité du lien et de l’amour ainsi partagé.

Août 2023 – Véronique Campillo – tous droits réservés

*CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales)

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